Le Combas continue

Publié le par Romlab

« La peinture n’est jamais morte, c’est le regard qui s’en est détourné. » (Philippe Piguet, critique d’art)

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Grand Dadais, acrylique sur toile,  200 x 250 cm, 2010.

La plus grande rétrospective consacrée au peintre  Robert Combas se tient jusqu’au 15 juillet au Musée d’art contemporain de Lyon, l’occasion de découvrir le travail jubilatoire et décomplexé d’un artiste majeur de la scène artistique internationale.

 

Si le titre de cet article est une référence à une série de morceaux d’un rappeur que l’on apprécie sur ce blog (cliquer ici), les 600 œuvres dont 250 tableaux qui investissent actuellement les 3000 m2 du Mac nous immergent davantage dans un univers rock, voire punk. Le titre de la rétrospective, Greatest Hits, est d’ailleurs tirée d’un tableau de 1986.

combasWEB.jpg Le cadavre découvert, technique mixte sur bois, 200x100cm, 1999. « Des milliers d'années, il était caché, caché ou enterré puisqu'il était décédé découvert. Tous les os mélangés façon puzzle recomposé. C'est un de nos premiers ancêtres à ce qu'il paraît. En tout cas, si il n'avait pas de grosses mains, il a de gros pieds ».

 La peinture libérée

 Combas est l’un des artistes français les plus connus et les plus achetés. Né à Lyon en 1957 mais vivant à Sète jusqu’en 1975 où il fréquente les Beaux-Arts avant d’entrer en 1977 à ceux de Montpellier où il a notamment pour professeur l’une des figures de Supports/Surfaces, Daniel Dezeuze. Le milieu des années 70 et le début des années 80 sont d’ailleurs marquées par l’hégémonie des courants minimalistes ou conceptuels comme Supports/Surfaces et c’est contre ce dogmatisme intellectuel qu’émerge dans plusieurs pays du monde une nouvelle figuration proclamant le retour à la peinture : cette nouvelle peinture s’inscrit dans une veine néo-expressionniste affirmée en Allemagne dès 1963 par un artiste comme Baselitz. Ce mouvement s’amplifie dans les années 80 avec la Bad Painting aux Etats-Unis (Basquiat, Keith Haring, Kenny Scharf ), la Transavantgarde en Italie (Sandro Chia, Enzo Cucchi) et la Figuration libre en France. C’est à Ben que l’on doit le terme de « Figuration libre » à l’occasion de l’exposition « Deux Sétois à Nice » pour laquelle il avait invité Combas et son ami Hervé di Rosa.

Les artistes de la nouvelle figuration/Figuration libre ont, à travers leurs œuvres, libéré la peinture et ont pris la « liberté » de faire « figurer » toutes formes d’art sans restriction de hiérarchie culturelle ni d’origine géographique. Leurs œuvres convoquent tour à tour, les beaux-arts et les arts appliqués, l’art brut et l’art cultivé, l’art occidental et non-occidental, la publicité, la musique, le cinéma

Figure majeure de ce retour de la peinture figurative en France, Robert Combas affirme sa liberté par le détournement de figures populaires issues de la bande dessinée comme Mickey ou Tintin et un style d’une grande inventivité marqué par un dessin schématique proche de la B.D.,  une couleur envahissant de ses aplats des supports d’abord cartonnés ou contreplaqués de 1977 à 1981 puis sur des tissus.

le_modele_du_peintre_1986_ok.jpgRobert Combas, Le modèle du peintre, 1986 © Adagp, Paris, 2012

Prolifique et proliférant

 Vers 1984 (selon Philippe Dagen) s’affirme le « style classique Combas » : la couleur envahit généreusement et spontanément  la toile puis un dessin proliférant, tracé en noir au pinceau, fait apparaître corps, objets et décors imbriqués. Il les cerne ensuite d'arabesques continues et remplit les espaces vacants de minuscules créatures puis indique les volumes par des stries en les superposant aux couleurs - des couleurs très vives que l’artiste applique avec une sensualité criante : pour Combas, la peinture est avant tout une affaire de sensualité et de sensibilité, ce qu’affirment les nombreux portraits, très charnels, qu’il a réalisés de ses modèles. Des portraits qu’il dramatise dès 1987 en diluant dans l’eau de la peinture acrylique pour obtenir un réseau de fausses coulures débordant de la toile sur le cadre. Par les coulures, la toile devient moins figurative, plus abstraite et met en scène un habile jeu de caché-montré, particulièrement efficace et approprié aux sujets comme les peintures et les inspirations de Toulouse-Lautrec, abordées par Combas en 1990, à l'occasion d'une résidence au Musée Toulouse-Lautrec d'Albi.

ROBERT-1.JPG Portrait de Geneviève-Période bleue, la Barracca Flamenca, acrylique sur toile, 162 x 130 cm, 1999

 Work in progress

 C’est la réalisation qui intéresse le peintre, l’œuvre pendant qu’elle se fait, non le résultat d’où l’idée de Richard Leydier de proposer à Combas de s’installer pendant deux mois dans un atelier et un studio d’enregistrement aménagés au sein même de l’exposition. C’est en passant par la salle des « Satellites », l’une des plus belles salles de la rétrospective, que l’on peut observer l’atelier « live ».

 En effet, depuis 1994, en marge de son activité principale qui consiste à peindre à l’acrylique sur de grandes toiles, Robert Combas développe ce qu’il nomme des «pratiques satellites». Pour une grande part, le principe de ces séries annexes est de transformer (en peignant ou en dessinant) des images préexistantes, c’est-à-dire dues à d’autres créateurs. Au fil des ans, l’artiste est intervenu sur des sérigraphies (des tirages papiers des Marylin d’Andy Warhol, pour la série des « MarylinCombas »), ou encore des esquisses d’étudiants en école des beaux-arts, réalisées d’après des modèles vivants ou des reproductions en plâtre de sculptures antiques (la magistrale série des Tatouages académiques). Plusieurs temporalités et références co-existent dans ces tatouages proliférants qui réifient le modèle et le projettent au premier plan.  La série de 2011-2012 sur papier et verre « Les images sont à regarder sans les textes car tous ces textes sont faits pour déconner mais les œuvres plutôt non, enfin un peu » joue de la superposition des surfaces et complexifie le traitement des « tatouages académiques ».

 Conteur d’histoire et poète

 A la fois peintre et conteur, Combas est probablement le peintre à pousser le plus loin l’articulation de l’image et du texte (on pense aussi à Daniel Maja et à sa "Vie brève", exposés actuellement à la Maison des Arts d'Antony).

01_-_robert_combas_mickey_1978-1979.jpg  Mickey, 1978-1979 © Adagp, Paris, 2012. "Mickey n’est plus la propriété de WALT il appartient à tout le monde BATO !" Acrylique sur isorel - 141 x 80 cm. Collection du Centre Pompidou, Paris – Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle

 Charriant une culture à la fois populaire et savante, il se livre à une véritable Interpénétration du visible et du lisible, de la bulle inspirée de la B.D. dès les premières toiles à la signature comme motif, un motif qui va jusqu’à se disperser dans l’eau, comme le visage de Narcisse dans le tableau de 1985.

 A partir de 1982, l’artiste généralise l’usage d’un titre-légende accompagnant chacun de ses tableaux : ni un commentaire, ni une explication de la toile, ces textes sont davantage des poèmes en prose écrits dans une langue propre à Combas attirant l’attention sur des détails non encore aperçus ou soulignant la trame narrative en œuvre dans le tableau. En effet, la peinture de Combas est non seulement figurative et violemment expressive, elle est aussi et surtout, profondément narrative.

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Robert Combas, Le Succube, 2010 © Adagp, Paris, 2012  "C'est pas vraiment la vérité. C'est pas vraiment la réalité. Mais c'est joli à regarder. Ça peut pleurer à la rigueur. Mais ça n'a pas très grande valeur. Y’a pas de fente à l'extérieur. Y’a pas de trou, rien du tout. C'est pas vraiment qu'elle a du cœur. C'est très rugueux à l'intérieur. Ça semblait doux pourtant ailleurs. C'est très bizarre quand ça se marre. Mais attention ce n’est pas un jeu. Quand elle vous susurre à l'oreille des falbalas merveilleux. Mais oui, vous l'avez compris, c'est pas cucube. C'est un succube." (Technique mixte sur carton plume contrecollé sur toile - 177,5 × 140 cm - Collection Chabernaud/Prigent, Paris

Non seulement amateur de rock, mais rockeur lui-même dans les formations Les Démodés et Les Sans Pattes, le Combas musicien fait d’un texte une chanson tandis que le Combas peintre fait d’une chanson un tableau, à partir par exemple des morceaux d'un autre Sétois, Georges Brassens. Le troisième étage de Greatest Hits est consacrée aux relations du peintre à la musique et une scène y a été installée pour permettre aux Sans Pattes de s’y produire une fois par mois jusqu’en juin.

combas-robert-1957-france-le-gorille-1550275.jpg    Le Gorille, acrylique sur toile, 1992

C’est une nécessité impérieuse qui fait peindre Combas et l’anime d’une énergie frénétique, sous nos yeux, cette énergie se lit comme un hymne à la vie, un hymne à la création, car chez Combas la mort n’est pas vraiment tragique, les batailles sont comiques (même si les conflits du XXè siècle sont traitées avec plus de noirceur) parce que l’on n’y meurt pas vraiment, et que le « cadavre » rit d’être « découvert ».

Pour illustrer cette célébration de la création, terminons par le titre-légende du « Grand dadais »:
« Les grands départs c’est pour les poètes…La crinière en avant, les étoiles dans le vent. Le cheval fraîchement se mouvoit dans le ciel, l’air en transe. À vue de nez c’est le mois de juillet. Les lumières au loin, pleines de questions illuminent en petits carrés éclairés de mystères, ceux des yeux de l’enfance questionnant le néant. Magistères à foison. Le cheval vole au loin, c’est un Pégase né avec des ailes blanches et un cou doré, il vient comme un mirage montrer aux créateurs imaginateurs que la seule façon de rêver, c’est de créer ! »

Voir l’article de Philippe Dangen : cliquer ici.

Voir l’article d’Yves Michaud : cliquer ici.



"Robert Combas, Greatest Hits", Musée d'art contemporain, Cité internationale, 81, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon. Tél. : 04-72-69-17-17. Du mercredi au vendredi de 11 h à 18 h, samedi et dimanche de 10 h à 19 h. Entrée : 8 €. Jusqu'au 15 juillet. Sur le Web : www.mac-lyon.com.

 

 

 

 

 

 



Publié dans Arts plastiques

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