Wim Delvoye accroche ses trophées à Paris

Publié le par Romlab

Suppo-Wim-Delvoye-Louvre-2_380px.jpgSpectaculaires et sobres, sophistiquées  mais lisibles, les œuvres les plus récentes de Wim Delvoye sont actuellement présentées à Paris, au Louvre et à la galerie Perrotin.

 

Un artiste provocateur ?

 

Il est habituel de présenter Wim Delvoye en soulignant son goût pour la provocation, soulignons d’emblée que si Wim Delvoye provoque, c’est bien de réflexion qu’il s’agit : « Toute son œuvre est une soupe sémantique peuplée de concrétions où le couplage du désigné en profondeur et du signifié en surface, leur écart tendu, interdit de penser mais incite à penser : chaque chose étant ce qu’elle est, et rien d’autre, voyez ce qui lui arrive, comme signe ! » écrit Pierre Sterckx en commentant l’une des œuvres les plus connues de l’artiste belge, ses cochons tatoués.

 

Celui que le critique d’art désigne comme un « intensificateur de signes » propose dans les deux expositions des productions issues de ses recherches sur la sculpture du XIXè siècle (Auguste Moreau, Antonin Mercié ou encore Jean de Bologne et Emile Picault, au style plutôt pompier), des sculptures en bronze argenté ou en résine cuivrée proche de l’anamorphose : les « Rorschach » se dédoublent mais restent difficiles à cerner tandis que les « Clockwise » et les « Counterclockwise » jettent au visiteur le défi de trouver l’angle de vue et la position la plus favorable à l’épiphanie de l’œuvre.

Ce dévoilement est mis en scène au Louvre, dans les appartements Napoléon III, par une scénographie simple, toute en discrétion : certaines sculptures sont immédiatement visibles, d’autres sont placées sous des vitrines, parmi la vaisselle Empire ou de la céramique XIXè. Delvoye travaille ici une zone d’indiscernabilité entre « arts décoratifs » et « grand art », « artisanat » et « haute technologie » : chaque œuvre est à la fois évidente et en fuite, dévoilant peu à peu ses nombreuses ambiguïtés. Comme ce Daphnis et Chloé « Clockwise » (dans le sens des aiguilles d’une montre) montré en face de l’original en marbre de Paul et Raymond Gayrard, et d'un très bel effet dans le miroitement des fenêtres qui permettent, avec la sculpture, des jeux de miroir déformants ou non déformants.

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    Daphnis et Chloé (Clockwise), 2011, bronze poli argenté, hauteur: 165 cm, diamètre: 85 cm (au Louvre).

Consécration et profanation

Même s’il la décrit comme « un suppo dans le cul de la pyramide », la flèche torsadée qui ouvre le parcours s’insère presque modestement dans la pyramide et ne se devine qu’une fois à proximité de la file d’attente. Wim Delvoye a hésité entre deux noms pour cette oeuvre en torsion: "doner kebab", en référence au sandwich turc, ou "suppo". "Le Louvre a préféré la scatologie qui ne fait référence à aucune différence culturelle et ne discrimine personne", explique l'artiste. Très sophistiquée en dépit de son nom trivial, cette flèche de douze mètres en acier corten découpé au laser est la propriété de l'artiste qui la ramènera dans son atelier de Gand (Belgique) après l'exposition.

 

Sur un meuble, une magnifique sculpture néogothique en acier corten d’une bétonnière torsadée. Et à côté, déposés sur le sol, cinq pneus de camions ciselés au laser avec des arabesques. Ce sont deux beaux exemples de la rencontre, « émulsion » dit Delvoye, de deux régimes de codes hétérogènes, chacun restant identifiable comme code déterminé mais accédant par l’émulsion, par l’œuvre d’art, à un statut supérieur : ici la cathédrale gothique chantournée, aux motifs décoratifs ciselés et une maquette de camion, l’ornemental d’une arabesque végétale et l’utilitaire d’un pneu de véhicule.

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Twisted Dump Trunk,acier découpé au laser, 2011 (à la galerie Perrotin et au musée du Louvre).

Dans sa volonté de réhabiliter un art ancien délaissé des collectionneurs ou des amateurs d'art, Delvoye déclare dans le catalgue de l'exposition: "Je suis frappé surtout par le désintérêt du marché pour l'art ancien. Or, un beau tableau du XVIIème siècle est souvent beaucoup moins cher qu'une oeuvre contemporaine". Il joint le geste à la parole avec l'étonnant Bustelli Twisted, une variation torsadée à partir d'un couple de figurines rococo de Franz Anton Bustelli, réalisé à la manufacture de porcelaine de Nymphenburg de Munich au XVIIIè: réalisée dans la même manufacture, la porcelaine de Delvoye rend hommage aux volutes et à l'élégance de la séduction amoureuse, dans un délicat jeu de rapprochement et d'éloignement, permis par les formes spiralées des personnages.

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Bustelli Twisted (Counterclockwise), 2010, peinture émaillée sur porcelaine, 25/13/15 cm (au Louvre).

 

 Si l'architecture gothique, repensée par Delvoye depuis plusieurs années, en un "néogothique" cisélé comme d'innombrables lames de rasoir est présente au Louvre comme chez Perrotin, c'est peut-être davantage le baroque qu'exploite ici l'artiste, dans des sculptures rappelant les torsions du Bernin.

Sous     une apparence décorative qui s’intègre bien au musée, chaque œuvre garde son côté subversif ou dérisoire, son « sublime inversé » (selon Adrian Dannat citant le romantique Jean Paul), dans un dialogue avec l’histoire de l’art : « L’art c’est changer ce qu’on attend de l’art. L’art, c’est ce qu’on n’attend pas de l’art » (entretien de Wim Delvoye avec Guy Duplat, La Libre Belgique, 7 octobre 2008).  

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Daphnis et Chloé Rorschach I, résine cuivrée, 2011 (à la galerie Perrotin).

Discrète, l’exposition « Wim Delvoye au Louvre » est même sage, à l’image de cochons tatoués : ici, au milieu des dorures et du velours rouge cramoisi du salon Napoléon III, trois cochons "tapisdermie" attendent le visiteur. Réalisés en polyester et recouverts de tapis de soie indienne évoquant des motifs persans, ils devraient éviter d'attirer les critiques comme l'avaient fait dès 1994 les porcs tatoués vivants (sous anesthésie), les porcs naturalisés ou les peaux tendues sous cadre, tout en restant fidèle à l’ironie à froid dont l’artiste a le secret : les sabots sont ceux de véritables cochons ! "Comme chaque fois chez Delvoye, en eux la consécration s’unit à la profanation. Tuer un cochon tatoué, c’est échapper à la mise à mort toujours un peu coupable en abattoir tout en évitant le sacrifice religieux, en principe lavé de toute faute" (P. Sterckx).

Sur l’immense table de la salle à manger, huit grandes sculptures de bronze, rondes, sont déposées : des Christ en croix ("une marque célèbre depuis 2000 ans", dit Delvoye) repliés sous forme d'anneaux ou d’anneaux de Moebius. A nouveau, des objets très beaux, exigeant une technologie complexe, mais avec leur dose de subversion tout en démontrant une grande compréhension de l’iconographie chrétienne : un anneau, n’ayant ni début ni fin, est une belle façon de représenter celui qui symbolise la mort (sur la croix) mais aussi la résurrection selon la Bible, l'anneau comme le Christ n'en finissent pas de mourir et de renaître.  

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Möbius Corpus Inside, 2012 Bronze nickelé © Wim Delvoye ADAGP, 2012 (au Louvre et à la galerie Perrotin).  

Un peu plus loin, une sculpture représentant un cerf et une biche copulant dans la position peu naturelle du missionnaire trône sur une grande table : c’est l’un des « trophées » les plus fréquents de la production de Delvoye.

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Fasciné par les marques, Wim Delvoye fait de son nom sa propre marque : ses initiales en sont le support privilégié. Si le prénom « Wim » vient d’un choriste au répertoire religieux, vedette de la télévision belge, elle est la « métaphore du mélange constant chez Delvoye »  selon Adrian Dannatt dans la somptueuse rétrospective qui sort concomitamment à l’exposition du Louvre et dont l’artiste a dessiné la couverture en reprenant, non la signature de Walt Disney dont il partage les initiales et qu’il appose au bas de ses tatouages, mais le logo Warner Bross tout en jouant de la couleur des couvertures Hetzel. Egalement dessinée par l'artiste, la couverture jaune et bleue du catalogue s'inspire de celles des romans de Jules Verne.Présente dans le parcours, "Nautilus" (2011), un coquillage d'acier corten mais aussi une cathédrale tordue et enroulée sur elle-même, constitue un autre clin d'oeil à l'auteur de "Vingt mille lieues sous les mers" et à son sous-marin légendaire. La rencontre de deux beautés a priori hétérogènes est aussi une référence à un objet décoratif typique des cabinets de curiosités du XVIIIè siècle.

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Nautilus (2011), acier inoxydable découpé au laser. © Wim Delvoye ADAGP, 2012 (au Louvre).

 

En référence aux cochons tatoués, à la Cloaca (par laquelle Delvoye a célébré l'entrée dans le nouveau millénaire), à la marqueterie aux motifs d'étrons et paraphrasant le titre d'un essai de Christian Prigent, on peut dire que Delvoye est de "ceux qui merdRent", ceux qui font merdRer la beauté convenue, la pensée pré-pensée et les « chromos » de l’humanisme contemporain. Le chapitre que Prigent consacre à Rimbaud est d’ailleurs intitulé « Celui qui aima un porc » et les sous-titres « Rimbaud scato » et « Beauté à chier » pourraient s’appliquer à l’auteur des Anal Kisses.

A lire : Le Devenir-cochon de Wim Delvoye, Pierre Sterckx, La Lettre volée, 2007. 

             Wim Delvoye, Jean-Pierre Criqui, Ides Et Calendes, 2009.

             Wim Delvoye, Introspective (monographie réalisée avec la contribution d’Adrian Dannatt, Olivier, Duquenne, Bernard Marcadé, Dirk Snauwaert et Bart Verschaffel). 69,95 €, éditions Fonds Mercator, 2012.

            Catalogue de l’exposition Wim Delvoye « Au Louvre » 96 pages, 25 €, coédition Fonds Mercator / musée du Louvre, 2012.

 Voir la vidéo de l'entretien de Wim Delvoye publié par Mediapart à l'occasion de l'exposition du Louvre: cliquez ici.

Voir l’article de Guy Duplat.

 

 Art contemporain - Wim Delvoye « Au Louvre »
Du 31 mai au 17 septembre 2012. Pyramide du Louvre, jardin des Tuileries, département des Objets d’art. Tous les jours de 9h à 18h, sauf le mardi. Nocturnes, mercredi et vendredi jusqu’à 21h45. Accès avec le billet d’entrée au musée : 10 €
Renseignements : 01 40 20 53 17

Wim Delvoye-Rorschach, galerie Perrotin du 12 mai au 14 juin. 78 rue de Turenne. 01 42 16 79 79.

Site de l'artiste: http://www.wimdelvoye.be/

 

 

Publié dans Arts plastiques

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